La réunion de l’Assemblée générale des Nations-Unies de fin septembre 2018 restera probablement dans les annales de la diplomatie multilatérale. Point besoin de s’étendre ici sur le fond de ce qui a été dit, les commentaires acerbes pleuvent déjà depuis hier. Plus intéressantes sont les implications de ce jeu – plus réellement – diplomatique. La posture du Président des Etats-Unis semble ainsi de plus en plus dictée par ses humeurs – non pas que ce soit une découverte – et ses volontés. De fait, la diplomatie américaine, du moins celle incarnée par son chef et ses subordonnés immédiats, apparaît de moins en moins pondérée et, surtout, de moins en moins rationnelle. La part de l’affect qui semble guider D. Trump dans ses choix et ses discours pose toutefois un certain nombre de problématiques en termes de relations bi et multilatérales.
Historiquement cette posture inattendue et émotionnelle à l’excès – aussi appelée « posture du fou » – était réservée aux acteurs dont la taille relative, le plus souvent modeste, les contraignait à des choix diplomatiques – et militaires – fondés sur la surprise. D’une certaine manière, la posture du Duché de Savoie pendant du XVIe au XVIIIe siècle, reposait ainsi sur cette prépondérance de l’initiative, faite de fréquents retournements, pour éviter de finir absorbé par un voisin plus puissant. A une période plus récente, des doctrines militaires, y compris de dissuasion nucléaire, ont pu être fondées sur cette « irrationalité » a priori. Le concept même de « pouvoir égalisateur de l’atome » nait ainsi de cette assertion suivant laquelle même les petits qui ont accès aux armes de destruction massive peuvent se révéler des acteurs redoutables. Toutefois cette stratégie dite « du fou » n’avait ainsi jamais été mise en pratique par la première puissance mondiale, laquelle a toujours conservé une posture de stabilisation et de responsabilité dans les affaires stratégiques. De fait le basculement des Etats-Unis dans une attitude – réelle ou exagérée, la question reste, quoi qu’on dise, ouverte – marquée par l’affect plus que par la raison implique ainsi plusieurs conséquences.
Négativement d’abord auprès des alliés, elle envoie le signal d’un navire sans capitaine. Les plus fervents atlantistes se retrouvent depuis près de deux ans sans réelle boussole, ce qui n’est pas sans compliquer une relation transatlantique qui n’a jamais été totalement exempte d’incompréhensions mutuelles. Au-delà même de cette question transatlantique, où l’OTAN joue néanmoins le rôle d’un ciment structurel fort, c’est la, ou plutôt les, relations transpacifiques qui sont mises à mal. La crainte que peut inspirer à ses alliés le comportement diplomatique américain les pousse ainsi graduellement à regarder vers de nouveaux partenaires – ce dont la France bénéficie dans une certaine mesure –, à prendre « leur destin en main », jusqu’à un certain point comme en témoigne le renouveau du secteur de la défense au Japon, ou à pacifier leurs relations conflictuelles avec leurs voisins. A l’exception de la dernière conséquence citée, plutôt bénéfique en termes de stabilité, les deux autres complexifient des situations déjà passablement délicates. Enfin les pays à la neutralité réelle ou exprimée, sont tentés de se reporter vers d’autres grands acteurs internationaux.
Positivement ensuite, car c’est une voie relativement peu explorée jusqu’ici, le comportement américain a le mérite de forcer les autres à s’adapter à lui et non l’inverse. Sur un certain nombre de dossiers, dont l’Iran, les Etats-Unis ont ainsi repris la main et la Russie doit s’adapter aux choix de Washington. Alors que jusqu’à la fin de l’année 2016 Moscou faisait figure de fou et V. Poutine d’acteur irrationnel par essence – on se souviendra ici des études « scientifiques » de certains journaux affirmant de but en blanc que celui-ci souffrait du syndrome d’Asperger, entre autres analyses pseudo-sérieuses – laissant de facto à la Russie l’avantage du premier coup. Maintenant ce sont les Etats-Unis qui « jouent avec les blancs », obligeant la Russie à adopter une posture plus raisonnable, certains diront plus sage. Sans que cela ne modifie en profondeur les orientations de la Russie, celle-ci semble avoir perdu cette capacité qu’elle avait depuis 2016 de stupéfier par des actions inattendues. V. Poutine, en acteur rationnel sent bien que toute action d’une nature trop disruptive pourrait dans ce contexte avoir des effets imprévisibles, menant éventuellement à une escalade non-désirée.
Au contraire, la Chine adopte une attitude stoïque, se comportant avec les uns comme avec les autres. La différence fondamentale de comportement entre B. Obama et D. Trump n’a ainsi pas réellement modifié l’attitude chinoise, faite, sur la scène internationale, d’une volonté proclamée de coopération et de stabilisation. Tout se passe ainsi comme si Pékin jouait sa partie sans réellement se préoccuper des intentions et des actions des autres, se coulant dans celles-ci. C’est l’essence bien sûr de la philosophie de la non-action, chère aux Taoïstes, qui prône un détachement de la course effrénée de l’immédiateté pour se concentrer sur le but lointain sans passion. On pourrait tout aussi dire que c’est là la qualité principale que devrait avoir un stratège – militaire ou non – de manière plus générique. De fait par une continuité et, en quelque sorte, une prévisibilité, la Chine obtient plus que par toutes les gesticulations possibles. Le contraste actuel entre une Chine, au fond rassurante dans sa posture, et des Etats-Unis dont on peine à saisir le fil directeur international – sauf le fameux « Make America great again » bien entendu – est presqu’exclusivement au bénéfice de Pékin. En laissant les autres grandes puissances jouer des coudes et afficher une fermeté qui inquiète tant leurs alliés que leurs opposants, la Chine a acquis une sorte de notabilité, faite d’une position de contrepoids stratégique. Xi J. a ainsi épousé la posture passée des Etats-Unis, celle du garant de la stabilité, de la coopération et, de face, de la paix. Face au fou, seul le sage peut rassurer serait-on tenté de dire.
Le jeu international actuel est, depuis l’élection de D. Trump, à fronts renversés. Les Etats-Unis imprévisibles, la Russie en réaction et la Chine comme pacificateur des relations, telle est la conjoncture actuelle, inédite et intéressante. Le tout est maintenant de savoir si ces acteurs vont conserver leurs positions et si celles-ci vont avoir tendance à se cristalliser, s’adoucir ou se durcir. Sans aucune certitude, la plupart des pays regardent stupéfaits, comme ils l’ont fait du discours de D. Trump.
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La Chine profite surtout du bruit produit ailleurs pour continuer à aligner les perles du collier, le bruit de ses voisins qui toussent (et ne peuvent faire que cela) étant désormais largement couvert…
De là à en faire un sage rassurant face au fou, je ne pense pas qu’on en soit là.
Comme l’écrivait André Beaufre, la stratégie c’est la dialectique des volontés. Ce qui veut dire qu’une posture stratégique se fait dans une sorte de jeu en tandem vis à vis de son adversaire/opposant. Dans ce cas la Chine apparaît comme « sage » à cause de l’attitude des Etats-Unis et non pas de leur propre attitude qui n’a d’ailleurs pas varié ces dernières années. Les perceptions stratégiques sont très relatives.