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J'assume : le sonal post-démocratique - EchoЯadar

 

C’est devenu une antienne depuis l’émergence d’un nouveau gouvernement en France : « J’assume » revient périodiquement à ponctuer chaque mesure contestée voire impopulaire. Ce letimotiv vise aussi en matière de stratégie communicationnelle à fermer le ban : pas de négociation, pas d’exception, pas de temporisation. C’est ainsi que le mot d’ordre est diffusé du haut vers le bas.

 

Or ce pavlovisme lexical au sein de l’exécutif français conforte les travaux du professeur Colin Crouch sur le phénomène de post-démocratie (auquel sera consacré un article dédié en forme de fiche de lecture). Les éléments qui permettent en effet de déterminer si nous nous trouvons en ce type de régime sont réunis :

 
  • conservation des attributs de la démocratie éviscérés de toute influence politique réelle
  • renforcement du pouvoir exécutif au détriment des échanges avec les autres pouvoirs
  • verticalisation des décisions
  • mêlange des intérêts privés et publics
  • déliquescence de l’autorité et du service public dans un nombre grandissant de territoires
 

À ce stade d’observation, et comme je l’exprimais au sein de mon analyse Démocratie et populisme : ou comment ne pas confondre cause et conséquence [1], le rejet massif des citoyens pour le corps politique dans son ensemble, ce qui se manifeste dans le vote populiste et l’abstention, est symptomatique de cette évolution. Laquelle est sciemment entretenue par les individus dont l’accession au pouvoir en est facilitée puis sa conservation assurée.

Dans ce cas de figure, l’exécutif tend à assumer les décisions mais non les effets de celles-ci. Ce qui est paradoxal dans un système démocratique ne saurait dès lors plus l’être dans un système post-démocratique.

La logique de cette locution « J’assume » s’oppose en réalité à ce qui manque le plus dans nombre de démocraties occidentales, faisant écho au célèbre discours d’Alexandre Soljénitsyne (1918-2008)  à Harvard, où son fameux exergue prend tout son sens : « Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l’Ouest aujourd’hui pour un observateur extérieur. Le monde occidental a perdu son courage civique, à la fois dans son ensemble et singulièrement. ».

Car le j’assume est un acte de soumission et non une éthique de responsabilité devant les choix difficiles afférents à un mandat politique.

Pourquoi? Parce que dans un régime post-démocratique celui qui « assume » envoie en réalité un message non aux administrés mais à la fois à des investisseurs intéressés et des pairs soucieux d’un ordre établi. Il fait état de son allégeance et son obéissance aux directives ipse dixit, et affiche son assurance à prodiguer les privilèges qu’il a octroyé. Le chef d’un tel régime post-démocratique, où la population n’est qu’une simple variable budgétaire puisqu’elle est exclue du jeu politique, se place dans la position d’un exécutant et non d’un dirigeant.

En réalité, assumer c’est prendre en considération une multitude de facteurs pouvant amener le décideur à réviser sa position non au gré des turpitudes émotionnelles mais au regard d’éléments objectifs et de retours circonstanciés, directs ou indirects (si présence ou non de corps intermédiaires).

Ignorer, occulter ou mépriser les effets subis par les administrés n’est pas du ressort de la responsabilité mais de l’imprévoyance : des choix peuvent être douloureux, nécessaires, mais il convient d’en choisir la temporalité, l’étendue sectorielle et sociale avec justesse. Assumer ce n’est pas faire étalage d’un rigorisme autistique, c’est commander et admettre que les circonstances peuvent forcer à réviser les modalités, la stratégie voire l’objectif. Penser qu’il suffit de forcer un mécanisme lorsque la machine est grippée est le plus sûr moyen de casser un rouage parfois essentiel à son plan de marche. Le courage c’est justement de comprendre les effets de ses décisions et de les corriger si intolérance ou échec par le corps social car lorsque l’on assume, ce sont les conséquences pour soi et non pour celles des autres.

Il n’en demeure pas moins que les politiques publiques seront toujours d’autant mieux acceptées qu’elles y intègrent l’accord de la population en son ensemble ou de la catégorie visée par la ou les mesures.

Les études du journaliste économique britannique David Goodhart et du géographe français Christophe Guilluy mettent très clairement en avant les fractures en cours dans les sociétés contemporaines : les clivages sont tout à la fois culturels, économiques et territoriaux et portés par une dynamique du refus par les partis traditionnels incapables ou refusant de reconnaître la situation actuelle. Ce qui atteste que nous vivons une période de transition assez violente où le mouvement des rapports de force sont plus accentués que par le passé. Il pose aussi assez crûment l’existence et le rôle politique de la classe moyenne qui subit frontalement cette transition. Le déclassement des classes moyennes est d’ores et déjà en phase d’accélération avec des générations moins bien rémunérées et au patrimoine inférieur aux baby-boomers.

Reste à savoir si cette tranche de la population, prise en étau par la classe populaire et la classe aisée, entend se satisfaire de la post-démocratie ou formuler son désir à être associée aux décisions politiques comme dans une démocratie véritable.

Étymologiquement, et ironiquement, assumer vient du latin assumere, signifiant « prendre pour soi » : le résumé de tout un programme politique.

[1] http://harrel-yannick.blogspot.com/2016/04/democratie-et-populisme-ou-comment-ne.html

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