François Villon (1431 – 1463) composa, il y a de cela quelques années, la Ballade des dames du temps jadis, célèbre pour son refrain « Mais où sont les neiges d’antan ? ». Les événements actuels incitent à penser que l’éthique, dont on ne cesse de nous rebattre les oreilles, est une des dames du temps jadis. Elle fut vive, elle est morte (et le diable l’emporte, pourrait-on ajouter tant est faible le nombre de ceux qui veulent la conserver en vie).

Deux affaires ô combien emblématiques illustrent ce lent départ, progressif mais inexorable de l’éthique de notre société.
Facebook tout d’abord où l’on a récemment appris qu’une nouvelle fuite de données avait eu lieu alors que Zuck en personne s’était excusé et avait juré la mains sur le cœur que cela n’arriverait plus jamais, et Renault ensuite, où le samouraï n’en finit plus de chuter.
Quel rapport avec un éventuel faire-part de décès de l’éthique ?
Nous l’allons voir.
Point un
Facebook d’abord, géant mondial du numérique, portail de communication incontournable ou caisse de résonance selon les personnes. Que lui est-il (encore) arrivé ? Une fuite de données, mais petite, légère, une fuitounette en fait. Plus de 6 millions de comptes utilisateurs touchés. C’est beaucoup ? En regard des 2,27 milliards d’utilisateurs actifs chaque mois (chiffres du 3° trimestre 2018), cela ne fait que 2,6 pour mille.
Négligeable donc.
Selon les commentateurs, c’est un bug, une compromission, une exposition de photos privées, ou encore une fuite : » tous les utilisateurs seraient concernés, même s’ils ont indiqué ne pas vouloir partager leurs informations avec des applications tierces. »
Mais que vient faire l’éthique dans cette affaire ?
Rappelle-toi (Barbara, il pleuvait sur Brest ce jour-là…) lecteur des suites de l’affaire Cambridge Analytica. Zuck déclara devant le Congrès US : « C’était mon erreur. Je suis désolé » et auparavant il avait également déclaré « Nous allons corriger le tir en espérant avoir des résultats avant la fin de l’année » Et voilà un espoir déçu, car la fin de l’année approche et une nouvelle fuite a eu lieu ! Un précédent billet évoquait déjà Zuck, manager modèle. Reconnaissons que son discours est séduisant, qu’il est dans l’air du temps post-moderne de battre sa coulpe en public et de s’en contrebalancer par la suite, comptant pour cela sur la faible persistance mémorielle du plus grand nombre.
Et c’est justement là qu’apparaît, ou plutôt que disparaît l’éthique !
On pourrait disserter à loisir sur les modernes droit d’aînesse et plat de lentilles !
Point deux
Passons à la deuxième affaire de ce billet : Renault et son patron samouraï bien que gaijin, héros de manga, modèle du redresseur d’entreprise et… en prison. Certes, il peut ne pas sembler déraisonnable (attention <théorie du complot>) que des règlements de compte soient aussi à l’œuvre dans cette affaire (attention </théorie du complot>), mais l’éthique semble avoir souffert.
Le Point nous apprend fin novembre que « Carlos Ghosn est soupçonné d’avoir certifié, en tant que PDG de Nissan, ces rapports financiers tout en sachant qu’ils comportaient des inexactitudes concernant ses propres revenus. Il les aurait minimisés d’un milliard de yens par an (7,7 millions d’euros) durant cinq années, selon le bureau du procureur qui n’a pas donné de plus amples informations. » et que selon une source proche de l’affaire « Il n’y a pas de procédure de contrôle externe systématique des informations publiées, car elles sont supposées être exactes puisque certifiées » par le patron. « En revanche, les autorités peuvent engager des procédures en cas de découverte de malversation » Donc si le patron certifie lui-même les comptes, on peut penser qu’il y porte une attention certaine. Convaincu de son innocence, mais reconnaissant cependant que Ghosn n’était plus en état de diriger l’entreprise, le procureur général du Japon Bruno Le Maire déclara sur BFM TV « La nouvelle gouvernance de Renault a lancé un audit sur les questions de rémunération et d’abus de bien social, pour vérifier qu’il n’y a rien eu de difficile, de délicat que nous puissions trouver. »
Selon les échos, cet audit a été rondement mené puisqu’il a pu livrer ses conclusions à ce jour. Deux semaines pour un audit d’une telle importance, ne mégotons pas notre respect ! Le journal nous apprend que celle-ci (l’enquête interne chez Renault) conclut à la conformité des éléments de rémunération (dont ses avantages en nature) de Carlos Ghosn à la législation sur la période 2015-2018. « Mais l’enquête n’est pas terminée », insiste un porte-parole du constructeur. « Il faudra aussi traiter la période 2010-2015, et l’étendre aux autres membres du comité exécutif ». Pourtant, selon une source ayant eu accès au dossier, « il y a réellement un problème : il contient beaucoup plus que ce qui est sorti pour l’instant ». Le même journal nous apprend que c’est Claude Baland, ex-directeur général de la police nationale désormais directeur de l’éthique du groupe, qui a été chargé de l’enquête interne sur les pratiques de Carlos Ghosn au sein de l’ex-régie. Ce qui sous-entend que les fonctions passées sont gage d’une éthique forte et garantes de son application rigoureuse. On ne prête,paraît-il, qu’aux riches…
Rappelons qu’en 2011, une fausse affaire d’espionnage chez le constructeur pouvait faire douter d’une mise en œuvre sérieuse d’une éthique rigoureuse. Elle avait été la source de la création de cette direction de l’éthique au sein du groupe suite au licenciement non fondé de trois proches collaborateurs du président. Mais la création de telles directions semble s’apparenter à la création de comités Théodule.
Et donc
Ces deux entreprises, bien que différentes par leur secteur d’activité, montrent une certaine déréliction de l’éthique dans leurs murs. Déjà prises la main dans le sac pour des manquements que l’on peut qualifier de graves, leurs deux patrons sont de nouveau dans la tourmente quelque temps après, pour un motif différent.
On peut voir le bon côté des choses en estimant qu’ils ont tiré la leçon des faits précédents, mais on peut aussi craindre que, s’il fallait tirer la pelote, d’autres affaires ne sortent.
Un autre point commun à ces affaires est la similitude de traitement par la presse des deux personnalités en cause. Manages extraordinaires, patrons d’exception, symboles de la réussite, etc., etc. il n’y a pas si longtemps, voici que maintenant leur étoile médiatique pâlit.
Et si les résultats ne suffisaient pas pour être un bon patron et un bon manager ?
Et s’il fallait davantage d’éthique, mais personnelle et non pas institutionnelle, tant il semble que la création de comités d’éthique n’ait pour seul but que d’exclure ce point de toutes les discussions ?
Le combat des gardiens est d’abord de formation et d’autoformation dans l’humanisme de l’avenir. Ils acquièrent ainsi force d’âme, droiture et auctoritas. La première lutte sera toujours, dans l’avenir, intérieure, reformation personnelle dans la vérité du Bien, conquête de la liberté authentique écrit Henri Hude dans La formation des décideurs (ed. Mame, p 76). On ne peut lui donner tort.
Pour les lecteurs arrivés au terme de ce billet, voici la Ballade originelle :
Dites-moi, où et en quel pays Est Flora, la belle romaine, Alcibiade et Thaïs Qui fut sa cousine germaine ? Écho, qui parle quant on fait du bruit Au-dessus d’une rivière ou d’un étang Et eut une beauté surhumaine ? Mais où sont les neiges d’antan ?
Où est la très savante Héloïse Pour qui fut émasculé puis se fit moine Pierre Abélard à Saint-Denis ? C’est pour son amour qu’il souffrit cette mutilation. De même, où est la reine Qui ordonna que Buridan Fût enfermé dans un sac et jeté à la Seine ? Mais où sont les neiges d’antan ?
La reine blanche comme un lys Qui chantait comme une sirène, Berthe au Grand Pied, Béatrice, Alix, Erembourg qui gouverna le Maine, Et Jeanne, la bonne lorraine Que les Anglais brûlèrent à Rouen, Où sont-elles, Vierge souveraine ? Mais où sont les neiges d’antan ?
ENVOI Prince, gardez-vous de demander, cette semaine Ou cette année, où elles sont, De crainte qu’on ne vous rappelle ce refrain : Mais où sont les neiges d’antan ?
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