Envisager le lien entre environnement et stratégie, c’est, dans le contexte actuel, penser la manière dont celui-ci peut et doit être préservé. Les différents rapports du GIEC et d’autres entités intergouvernementales, mettent en avant depuis de nombreuses années l’urgence, sans cesse plus importante, à prendre en compte l’accélération des changements climatiques ainsi que leurs effets sur la planète. Depuis de nombreuses années, la Conférence-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), responsable des négociations annuelles sur le climat au niveau gouvernemental, a mis en avant deux orientations majeures pour lutter contre ces changements et leurs effets. D’une part l’adaptation, à savoir la manière dont les sociétés peuvent évoluer pour appréhender des environnements en pleine mutation et, d’autre part, la mitigation, comprenant l’ensemble des technologies et des éléments pouvant contribuer à amoindrir – et dans une vision utopique à annuler – les effets des changements. Ces deux orientations et la manière dont elles sont formulées ont tendance à regarder les solutions suivant un prisme technologique, fortement schumpétérien. Il s’agit ici de penser comment l’innovation peut venir au secours des sociétés confrontées aux changements. D’où les fonds et dotations qui se multiplient, au niveau global comme régional ; il suffit de jeter un œil aux appels à projets européens H2020 pour s’en convaincre.

 

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Dans le monde militaire de la même manière, même si les problématiques se posent différemment, la prise en compte des effets des changements climatiques sur les missions et les environnements d’intervention, a été entreprise depuis une décennie. Les forces armées américaines ont été les pionnières en ce domaine, à la suite d’un rapport de 2007 qui pointait que 50% des pertes militaires en Afghanistan étaient dues à la chaîne logistique pétrolière, laquelle eu égard à ses déterminants (régularité, protection moindre, etc.) offrait une parfaite cible. Dès lors des documents programmatiques sont nés dans les principales armées de l’OTAN, pour prendre en compte cette question, nommée à l’époque green defense, pour laquelle il convenait d’apporter une réponse. Loin de placer la question de la préservation de l’environnement en opérations au centre des travaux – même si cela constitue un véritable enjeu, notamment dans le cadre des actions civilo-militaires – il s’agit ici avant tout de s’adapter aux changements en cours, par des évolutions en termes de matériels notamment. Le paramètre de la résilience est ici fondamental et il s’agit de ne pas perdre en capacités, voire d’en gagner sur certains points si l’on pense aux batteries par exemple. Quoi qu’il en soit, il s’agit également ici d’une vision très majoritairement centrée sur la technologie.

De ce paradigme technologiste il est possible d’en arriver à un paradoxe plus profond qui semble par moments insoluble, ou du moins hypocrite. Celui-ci pourrait s’incarner dans 3 objets qui sont liés à cette problématique environnementale : l’éolienne, la voiture électrique et le climatiseur. L’éolienne et la voiture électrique nécessitent pour leur construction un certain nombre de matériaux qui se révèlent soit très polluants à élaborer – pensons aux différentes matières plastiques et composites qui sont l’un des principaux produits de la pétrochimie et ont un bel avenir devant elles – soit d’un coût d’exploitation environnemental extrêmement important comme les métaux stratégiques. Une éolienne a ainsi besoin pour fonctionner d’un aimant permanent composé de terres rares – néodyme et dysprosium dans ce cas – dont la chaîne logistique est un véritable cauchemar écologique. Extraites d’une roche au taux important de radioactivité (la monazite), les terres rares doivent subir plusieurs traitements de séparation puis de raffinage pour atteindre le niveau de pureté industriellement adéquat. Or ces opérations ne se déroulent pas au même endroit, pour des questions de savoir-faire technologique. Une éolienne, en prenant la chaîne de valeur industrielle depuis la mine, aura vu ses terres rares extraites en Chine, envoyées pour raffinage en Europe, renvoyées en Chine pour assemblage industriel et installées finalement quelque part sur la planète, plus vraisemblablement dans un des pays les plus avancés (Europe, Amérique du Nord, Asie du Nord, etc.). Il en est de même pour la voiture électrique – dont le moteur contient également son lot de terres rares – où le cœur de la valeur est composé des batteries, lesquelles – avec la technologie actuelle Li-ion – commencent leur cycle en Afrique (RDC) et en Amérique du Sud (Chili, Bolivie, Argentine) pour ensuite être transformées en Chine et consommées en Europe ou au Japon. Pas étonnant dans ce cas que l’estimation environnementale du cycle de vie des produits (le LCA ou life cycle assessment) ne soit pas toujours en faveur de ces nouvelles technologies. Le concept de marketing politique de TEPOS (territoire à énergie positive), souvent rabâché en France, se révèle une escroquerie lorsqu’on se rend compte qu’il est avant tout une externalisation de la pollution.

Le climatiseur relève d’une logique différente. En tant que tel il participe à la mitigation des effets, mais il se révèle lui aussi responsable de ceux-ci. En consommant de l’électricité pour rafraîchir l’atmosphère, il influe sur la consommation énergétique, donc sur l’extraction et la transformation de certaines matières, et, en cela, contribue aux effets des changements climatiques. En voulant atténuer ceux-ci par cette approche technologiste, on aboutit à les maintenir, voire à les augmenter.

Ce constat revient-il à dire que toute stratégie technologique par rapport aux changements climatiques et à la protection de l’environnement est vaine ? Non bien entendu. Toutefois il ne faut pas également tomber dans ce qui est le fétiche des sociétés actuelles : l’innovation. Le mot semble magique, voire totémique, puisque la mode est à décréter des politiques d’innovation un peu partout, en créant des structures dédiées, lesquelles sont le plus souvent pachydermiques et inadaptées. En ne voulant s’intéresser à l’environnement – qui implique par essence le concept de conservation – que par le prisme de l’innovation – lequel dans une vision schumpétérienne, laquelle est majoritaire dans la pensée techno-industrielle libérale, implique la destruction – on touche un paradoxe qui explique, en partie, les échecs actuels. Plus encore que dans de nombreux domaines, la technologie ne doit être qu’un appui et pas une fin. La sauvegarde de l’environnement ne peut ainsi être qu’une combinaison humaine et technique, l’une n’absolvant pas l’autre, surtout dans le domaine de la stratégie.

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