Le canon électrique est une idée relativement ancienne qui peut être datée pour ses premières esquisses de la fin du XIXe siècle avant d’être reprise au siècle suivant en Norvège (1901), France (1914) et Allemagne (1940). Les problèmes de stockage de l’énergie rebutèrent les plus courageux.
Il existe deux filières du canon électromagnétique :
- la première appelée « canon de Gauss » ou canon magnétique (coilgun) utilise l’effet de répulsion magnétique produit par des bobines afin de propulser progressivement un obus ferromagnétique à l’intérieur du canon ;
- la deuxième est le « canon électrique » (railgun) qui utilise la force de Laplace reposant sur la différence de potentiel développée par deux rails parallèles traversés par un champ électrique qui propulse un obus conducteur grâce au champ magnétique ainsi créé.
Citons également le canon électrothermique-chimique qui utilise « une cartouche de plasma pour déclencher l’allumage du matériau propulseur, en utilisant l’énergie électrique comme catalyseur de la réaction. » Il est notable qu’un investissement conjoint, à parts égales, entre la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) et la Royal Armament Research and Development Establishment (RARDE) se matérialise à Kirkcudbright en Écosse. Ce projet américano-britannique est l’aboutissement d’une répartition de l’effort des Etats européens membres de l’OTAN (Independent European Programme Group (1976) dans les recherches militaires. A la confluence des programmes Euclid et Eurekâ, les Britanniques conduisent un groupe de travail sur les canons électromagnétiques. Plusieurs démonstrateurs (dont les Remgun I, II et III) sont construits à Kirkcudbright permettant d’atteindre au terme d’années de recherche jusqu’à 32 MJ et plus de 4,200 m.s-1.
Des travaux sont conduits aux Etats-Unis d’Amérique dans le cadre de la Strategic Defense Initiative (SDI ; ou Initiative de Défense Stratégique (IDS) en français). D’une manière ou d’une autre, les travaux menés en Ecosse à Kirkcudbright sont repris et poursuivis. L’Electro-Magnetic Laboratory Rail Gun mis en place par l’Office of Naval Research (US Navy) lance un programme de recherche et développement en deux phases :
- la phase 1 évalue deux projets des industriels BAE Systems et General Atomics qui aboutissent tous les deux à deux démonstrateurs testés sous la responsabilité des Naval Research Laboratory (Washington D. C. ; US Navy et USMC) et NSWC-Dahlgren Division (Virginie) ;
- la phase 2 débutant avec l’obtention par BAE Systems du contrat du développement du prototype en 2006 et surtout la mise à l’épreuve de celui-ci en 2012 au terme de laquelle il devait pouvoir être développé un système d’arme opérationnel à partir du prototype.
Malgré des résultats satisfaisants du prototype de BAES pouvant atteindre jusqu’à 32 MJ et une portée souhaitée de 220 nautiques (~ 407 km), les crédits budgétaires ne suivent plus en 2017, laissant les destroyers de la classe Zumwalt sans canons alors que leur architecture est aménagée autour d’une première batterie comportant deux pièces de 155 approvisionnée par 600 obus ensemble. Si le programme n’est pas abandonné, la première capacité opérationnelle est renvoyée à l’après 2020 et plus probablement à l’après-2025.
Il est remarquable que la conséquence du ralentissement des recherches américaines soit la production d’efforts de publicité de la part des autres protagonistes menant des recherches dans le domaine du canon électrique :
L’Institut Saint Louis (ISL ; tutelle de la Direction générale de l’armement (DGA) et du Bundesministerium der Verteidigung (BAAINBw) travaille sur le canon électrique depuis l’année 1987. Un premier démonstrateur baptisé Pegasus (Programme of an Electric Gun Arrangement to Study the Utilization in Systems) est achevé en 1998 après trois ans de travaux. Il atteint jusqu’à 10 MJ et plus de 2600 m.s-1 pour des projectiles d’environ 1 kg pour un calibre de 50 mm. Il semblerait que le NGL60 de 10 MJ prenne sa suite. Un autre canon électrique est essayée par l’ISL : RAFIRA (RApid Fire RAilgun) d’un calibre de 25 mm capable de tirer des salves de cinq tirs consécutifs. Il sert à valider le concept d’un canon électrique pour la lutte anti-aérienne sur des bâtiments de guerre. Par ailleurs, la maquette d’un système automoteur d’artillerie dont le tube est un canon électrique de 125 mm pour 200 km de portée a été présenté en 2017.
La Russie n’est pas en reste : l’Institut des Nations Unies pour les hautes températures de l’Académie des sciences de Russie a réussi à travers son canon électrique à propulser un projectile de 100 g jusqu’à 3000 m.s-1 pour une énergie de 4,8 MJ.
Un canon électrique bénéfice d’un effort de recherche « significatif » en République populaire de Chine depuis, au moins, l’année 2015 et il n’est pas inutile de rappeler que ce pays s’est singularisé par d’importantes recherches en artillerie « classique », notamment certaines menées dans une optique anti-missile balistique. Début janvier 2018, sur le réseau social Weibo est publié des clichés du bâtiment de débarquement de char Haiyangshan (classe Type 072 III, 4800 tonnes) dont la tourelle bitube de 37 mm a été débarquée au profit d’une nouvelle installation sous bâches de laquelle pointe un canon. Des conteneurs sont disposés sur le pont. Et la porte d’étrave a été soudée.
Eu égard à l’apparence de cette tourelle portant vraisemblablement un canon électrique (installations annexes, etc), il s’agirait moins d’un prototype que d’un matériel de série, au pire pré-série. Il ne serait pas dans les habitudes chinoises de procéder aux essais à la mer d’un matériel non-destiné à entrer en service. Selon Henry Kenhmann, il s’agirait de s’attendre à une entrée en service dudit canon sous cinq à sept ans. L’important volume de cette tourelle – près du double de celui d’un H/PJ-45 de 130 mm – la réserverait à des bâtiments de fort tonnage réaménagé (un « Type 055B » (illustration numérique ci-dessus) ?) ou spécialement conçu pour l’accueillir.
Sauf grossière erreur de notre part, il n’y a pas eu de filière « coilgun« . Depuis 2018, il est et sera intéressant d’observer les réactions du « Railgun club » (Allemagne, Chine, Etats-Unis d’Amérique, France, Royaume-Unie et Russie) qui compte les membres du conseil de sécurité des Nations unies, du club nucléaire, des SNLE et SNA – l’Allemagne mise à part. Le railgun est une autre perspective des armes hypersoniques (Mach 5 ou plus) qui a ceci de particulier que ce n’est pas un missile aérobie ou balistique mais un matériel d’artillerie tirant des obus inertes détruisant leur cible par la seule force cinétique. Les railgun relèvent également des armes à énergie dirigée et sont remarquable à ce deuxième titre par le fait qu’elles entreront en service peut être plus rapidement que les lasers dans diverses applications car les défis technologiques semblent moins nombreux.
Sur le plan naval se dégage deux applications qui vont se révéler complémentaire : de grands canons électriques contre les buts de surface (Mer plus Terre) et de plus petits contre les cibles évoluant au-dessus de la surface. Voire, pourquoi pas, des applications contre mobiles spatiaux évoluant dans la première partie (environ 0 – 300 km) de l’orbite terrestre basse (0 – 2000 km).
Ces deux premières applications sont complémentaires puisque le missile aérobie est mis en concurrence avec l’obus du canon électrique dans la destruction des cibles fixes et que l’application pour la défense aérienne prétend soustraire le bâtiment de guerre aux munitions aérobies guidées actuelles. Par voie de conséquence, le canon électrique postule comme moyen anti-navire principal vis-à-vis, surtout, des missiles anti-navires subsoniques, et sera mis en concurrence avec les missiles hypersoniques dans ce domaine de lutte. Contre les cibles fixes à terre, l’écart circulaire probable sera déterminant dans l’emploi opérationnel du canon électrique vis-à-vis des missiles de croisière qui peuvent être retenus presque jusqu’au dernier moment contre les cibles désignés.
Par contre, l’emploi du canon électrique contre cibles mobiles ne semble pas envisageable avant l’après 2030, voire 2035 car ce sont des obus inertes et il s’agirait que le moindre senseur embarqué survive au tir. La puissance aérienne demeurera dominante dans l’emploi rhéostatique des feux. Aussi, avec des portées considérées de 100 à 400 km, le canon électrique obligera la plateforme navale à pouvoir s’appuyer sur une capacité aérienne mise en œuvre en propre ou déportée depuis un autre bâtiment ou la terre afin de trouver et pister ses cibles. Le canon électrique reprendrait dans un premier temps les modes d’emploi opérationnel des missiles anti-navires.
En plaçant la focale à l’échelle de la plateforme navale, le premier canon électrique chinois a un volume de près du double de celui d’une tourelle H/PJ-45 de 130 mm. Cela n’interdira pas son intégration sur des bâtiments de la taille d’une corvette (plus ou moins 1500 tonnes) mais sera source de pressions supplémentaires sur l’architecture et poussant à une polyvalence moindre des corvettes à tonnage égal. Le trait le plus saillant de l’introduction du canon électrique est le nombre de coups disponibles qui se compteront par une, deux ou trois centaines par tube. Ce qui amènera à s’intéresser obligatoirement à cadence et au volume de la salve. Les frégates polyvalentes (4 à 5000 tonnes) sont d’ores et déjà poussée vers les 6 à 8000 tonnes. Le canon électrique exigera son augmentation unitaire du tonnage en raison notamment d’une multiplication du nombre de tourelles.
Plus la concurrence sera rude avec les missiles aérobies, plus le canon électrique marquera des points alors plus les plateformes de 9 à 12 000 tonnes deviendront courantes. En contre-partie, il ne serait pas étonnant que la batterie de missiles, peut-être d’un moindre volume, bénéficie d’une simplicité accrue dans les objectifs opérationnels recherchés (défense aérienne à courte et très courte portée confiée à nouveau aux canons, salves contre cibles fixes par canons, etc) permettant le développement de munitions plus polyvalentes et plus endurantes donc portant au-delà des 200 à 400 km, renforçant une tendance naissance à faire évoluer le paradigme du lancement vertical vers des sabords toujours standardisés mais d’un diamètre plus important.
Quelques bâtiments de guerre sont d’ores et déjà prêt à accueillir le canon électrique : les trois destroyers de la classe Zumwalt avec en toile de fond le remplaçant des croiseurs de la classe Ticonderoga dans l’US Navy, le projet de destroyer Lider en Russie repoussé à l’après-2025, les destroyers Type 055 en Chine dont une variante spécifique est probable tout comme une refonte des premières unités. Les unités navales portant le Principal Anti Air Missile System (PAAMS) que sont les classes Andrea Doria (Italie) , Forbin (France) et les Type 45 (Royaume-Uni). L’Italie projette même la construction de deux croiseurs de 10 000 tonnes.
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