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"Porte-avions européen" : quelle intention ? - EchoЯadar
En réponse à la tribune du président de la République Emmanuel Macron, Mme Annegret Kramp-Karrenbauer – présidente de la CDU (Union chrétienne-démocrate d’Allemagne – Christlich Demokratische Union Deutschlands) – réplique par la proposition de construire « un porte-avions européen commun, pour souligner le rôle de l’Union européenne dans le monde en tant que puissance garante de sécurité et de paix ». Mme Angela Merkel, chancelière de la République Fédérale d’Allemagne, »trouve bien et juste que côté européen nous puissions disposer d’un tel équipement » : il s’agit donc désormais d’une proposition de l’Allemagne dans le cadre du débat mené entre les États membres de l’Union européenne quant à l’autonomie stratégique de cette dernière.

© US Navy - Mass Communication Specialist 3rd Class Ethan M. Schumacher. Le porte-aéronefs (LHA) Cavour de la Marina militare naviguant de concert avec le porte-avions CVN-75 USS Harry S. Truman (Ve fleet) et le porte-avions Charles de Gaulle (TF 473) pendant des opérations menées dans le Golfe d'Oman.
© US Navy – Mass Communication Specialist 3rd Class Ethan M. Schumacher. Le porte-aéronefs (LHA) Cavour de la Marina militare naviguant de conserve avec le porte-avions CVN-75 USS Harry S. Truman (Ve fleet) et le porte-avions Charles de Gaulle (TF 473) pendant des opérations menées dans le Golfe d’Oman.

Le « porte-avions européen » n’est pas une nouveauté en soi dans le débat stratégique européen. En son temps le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter avait proposé l’idée d’un porte-avions franco-allemand en 1996 par une tribune publiée dans le journal Le Monde (« Construisons un porte-avions avec l’Allemagne », Le Monde, 7 juin 1996). L’idée était que le « PA2 » (deuxième porte-avions français) n’étant pas à la portée financière de Paris (commande repoussée depuis 1989 et ajournée sine die par le Livre blanc sur la Défense de 1994) et les hypothèses de coopération avec d’autres partenaires européens bien minces car les marines européennes dotées de ponts plats ont misé sur la filière ADAV/C ou STOVL (Royal navy (classe Invincible (1980 – 2014), Marina militare (Garibaldi (1981 – …) et Armada Española (Principe de Asturias (1982 – 2013). Idée qui s’appuie sur la participation allemande aux différentes opérations de maintien ou de rétablissement de la paix menées pendant la désintégration de la Yougoslavie alors que les capacités de projection de puissance de la Deutsche Marine sont faibles, voire inexistantes et son aéronavale basée à terre et non pas embarquée.

 

L’Amiral Sautter est moins loquace quant au caractère bi-national du bateau. Il renvoie « les problèmes juridiques, financiers, organiques seraient traités par les diplomates et les états-majors, qui ont l’habitude de travailler ensemble ». La tribune n’a pas été la source du moindre commencement d’exécution.

 

Rappelons que « les » porte-avions « européens » devaient à l’origine être franco-britanniques et servir la capacité d’action autonome de l’Union européenne dans le cadre des missions dites de Petersberg. Le Royaume-Uni bloquait la constitution d’une force autonome européenne pouvant être mobilisée aux fins des missions dites « de Petersberg » afin de ne pas concurrence l’OTAN. Le déblocage intervient lors du sommet de Saint-Malo. Cette avancée franco-britannique s’européanise lors du Conseil européen de Cologne (3-4 juin 1999). Mais ce n’est que lors du Conseil européen d’Helsinski (10-11 décembre 1999) que cette « capacité d’action autonome » est détaillée comme suit : « les Etats membres devront être en mesure, d’ici 2003, de déployer dans un délai de 60 jours et de soutenir pendant au moins une année des forces militaires pouvant atteindre 50 000 à 60 000 personnes, capables d’effectuer l’ensemble des missions de Petersberg ». Cette force doit être appuyée par 300 à 500 aéronefs dont 150 à 300 avions de combat et une force navale de quinze bâtiments. C’est dans cette perspective que la Marine nationale et la Royal navy souhaite verser leurs capacités aéronavales dont le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle (2001 – 2041) et les trois futurs porte-avions britanniques (Strategic Defence Review (SDR) de juillet 1998) et français.

 

Et à la vérité : la problématique d’un bâtiment militaire bi-national n’a jamais été résolue, ce qui n’a jamais empêché l’idée d’un porte-avions franco-allemand, voire « européen » de faire florès d’une tribune à l’autre, d’une élection du président de la République à l’autre. Il est remarquable que le nombre de porte-avions devenu un marqueur de la puissance d’un programme présidentiel en France soit devenu aussi un marqueur dans le débat européen.

 

Mais le marqueur de quels symboles ? Berlin se singularise par une offensive politique autour du siège permanent de la France au conseil de sécurité des Nations unies, l’usage militaire de l’atome dans le cadre d’une doctrine de dissuasion. Autrement dit, ce sont les symboles de la puissance politique française qui sont visées. Et il n’est peut être pas inutile d’inviter à la lecture de L’Alliance incertaine, les rapports politico-stratégiques franco-allemands, 1954-1996 (Paris, Fayard, 496 pages) de  Georges-Henri Soutou où les rapports franco-allemands se caractérisent par la volonté allemande de retrouver la parité avec la France soit par la réduction, voire la suppression des sanctions consécutives à la défaite lors de la Deuxième Guerre mondiale, soit en entravant ou en encadrant l’obtention d’instruments de souveraineté par la France.

 

 

Il est pourtant nécessaire d’affronter cette problématique. M. Joseph Henrotin rappelait que le porte-avions est « d’abord un instrument de guerre navale » (Joseph Henrotin, « La question du porte-avions, @DSI_magazine, 11 mars 2019). Seuls les États-Unis, la France et le Royaume-Uni en font un instrument de stratégie combinée – sans même compter sur le débat du « combat multi-domaines ». D’ores et déjà s’impose au Politique que cet instrument de guerre navale se compose d’un porte-avions, pièce maîtresse d’un groupe naval capable d’obtenir le sea control, c’est-à-dire la maîtrise de la mer en un temps et un lieu donné dans toutes ses dimensions (sous, sur et au-dessus de la surface). Cette question complexe oblige à un dialogue approfondi dépassant le cadre institutionnel et opérationnel de l’EUROMARFOR (1995), force non-permanente peu en rapport avec les contraintes opérationnelles de la mise en œuvre d’un groupe aéronaval.

 


La proposition allemande touche bien un instrument aéronaval capable de « souligner le rôle de l’Union européenne dans le monde en tant que puissance garante de sécurité et de paix » (Annegret Kramp-Karrenbauer) donc de pouvoir porter le combat à terre par l’entremise d’une aéronavale à voilure fixe embarquée. Cet instrument de stratégie combinée mer – air pour le contrôle de la surface (Amiral Castex) oblige à penser une stratégie aérienne mêlant notamment l’instrument aéronaval mais pas seulement dans le cadre d’interventions à Terre pour influencer et orienter la décision. Comme le souligne Joseph Henrotin, cette perspective est « le catalyseur de toute une chaîne, du politique au très technique ». Les Etats devraient se mettre d’accord sur les missions incombant aux formations aéronavales communes donc de mettre en rapport des cultures stratégiques pour dégager un espace de coopération « axée ciblage et génération d’effets stratégiques ». Concrètement, il s’agirait de se mettre d’accord sur les aéronefs, les munitions en fonction des effets recherchés sur le terrain et donc des règles d’engagement. En la matière, Joseph Henrotin souligne combien « l’Afghanistan a déjà largement montré les limites des groupes aériens multinationaux. »

 

Du point de vue de la stratégie génétique des moyens, les protagonistes doivent se mettre d’accord sur les missions et donc sur le choix d’un aéronef. Le programme SCAF (Système de Combat Aérien du Futur) mené en coopération entre l’Allemagne et la France a un calendrier propre à faciliter de tels échanges stratégiques afin de se mettre d’accord sur un cadre aéronaval commun au service d’une culture expéditionnaire commune demeurant à développer. Mais le blocage allemand de moins en moins lisible sur le contrôle de l’exportation de matériels de guerre n’est pas encourageant à propos d’un sujet connexe. Par ailleurs, un « porte-avions européen » implique aussi de se décider en faveur d’une filière aéronavale (CATOBAR (France, Royaume-Uni (2030-35 ?), STOBAR (Russie), STOVL (Espagne, Italie, Royaume-Uni, ) alors que chacune d’elle est représentée dans l’Union européenne : sauf en Allemagne.

 

Nonobstant la question d’un « porte-avions européen » puisqu’il paraît très difficile d’agencer un porte-avions propriété de deux ou plusieurs Etats ou d’une organisation internationale avec un équipage multi-national tout comme le groupe aérien embarqué, il y a d’autres voies de coopération possible de la manière la plus réaliste qui soit.

 

La première était déjà abordée par l’Amiral Sautter : « en nous projetant encore plus dans un avenir qui n’est pas totalement virtuel, si l’Allemagne, pour remplacer ses Tornado, achetait des Rafale Marine, ces avions pourraient être basés en Allemagne et venir s’entraîner sur les porte-avions en Méditerranée. Ce ne serait pas plus loin que la base de Landivisiau (Finistère) où est stationnée la chasse embarquée française. » À la remarque près que pour le remplacement des Tornado de la Luftwaffe, Berlin n’a jamais publiquement considéré l’achat de Rafale alors même que le développement du standard F4 conférera à l’avion tricolore les facultés d’hyperconnectivité qui font la différence d’avec tous les autres aéronefs à voilure fixe.

 

Plus largement, la mise en œuvre d’aéronefs européens à bord des porte-avions français n’a semble-t-il jamais été sérieusement envisagé. Cela ne soustrait en rien des questions sous-jacentes liées à l’emploi de la force militaire (cf. supra). Mais la mise en œuvre opérationnelle de cette mesure politique est d’une très grande simplicité tant est que hommes et matériels peuvent suivre. Paris ne proposait-il pas des Rafale M (6 à 12 selon les sources) à la Belgique dans le cadre du partenariat stratégique d’Etat à Etat proposé ? Pourquoi donc Finlandais et Espagnols (F/A-18 Hornet, CATOBAR) ne sont-ils pas montés à bord du porte-avions Charles de Gaulle dont la conception a été guidée autour d’un « avion enveloppe »… le F/A-18 Hornet ?

 

En réduisant encore la focale employée, un « porte-avions européen » aurait aussi pu prendre l’apparence d’un travail diplomatico-militaire dans l’espace otanien ou de l’Union européenne afin de mettre en rapport les aéronavales à voilure fixe embarquées européennes. Il y a un porte-avions, trois porte-aéronefs et quatre porte-hélicoptères (dont deux pouvant opérer des aéronefs à voilure fixe tel que le AV-8B Harrier II). Favoriser des groupes aéronavals européens peut aussi se matérialiser sous la forme d’un travail de fond dont l’Allemagne est pourtant coutumière par la production de normes facilitant l’interopérabilité entre les marines et donc l’embarquement des groupes aériens embarquées d’un pont plat à l’autre, favorisant là la permanence aéronavale européenne. Cette approche très technique dispense presque de penser de manière structurelle les missions menées en commun au profit de coalitions dont la constitution ponctuelle est rendue aisée par ce rapprochement technico-opérationnel.

 

La volonté politique est théoriquement constituée pour faire avancer l’ « Europe aéronaval » avec trois voies d’action possibles afin qu’elle émerge rapidement : un espace de coopérations techniques favorisant l’interopérabilité, un cadre structurel bénéficiant d’un rapprochement doctrinal pour l’embarquement de groupes aériens embarquées étrangers sur une plateforme nationale et un dialogue politique dans l’optique de faire coïncider le programme SCAF avec un « porte-avions européen ».

 

Ce dernier est-il l’ineptie navale d’un bâtiment multinational faisant d’ores et déjà la fortune des juristes et des officiers d’état-major, et donc le symbole de ce qui n’est pas voulu pour l’Europe, de ce qui ne fonctionne pas pour le continent et ce qui obérera les capacités existantes en phagocytant l’avenir avec, peut être, des intentions malignes cachées d’abaissement de la France au profit de l’Allemagne ? Ou bien est-ce que le vocable » de « porte-avions européen » déclame la volonté allemande que l’Europe se dote de « big sticks » au service d’une politique étrangère, de sécurité et de défense commune appuyés par des instruments de concertation proposées (conseil de sécurité européen, traité de défense et de sécurité), voire par un quartier général européen ?

 

 

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