Loyal Wingmen, ou Remote Carrier, ces curieuses appellations, en attendant de trouver le bon terme en français, désignent toute une nuée d’appareils qui s’intégreront au(x) système(s) de combat aérien futur(s), aux côtés des avions « pilotés ». A mi-chemin entre le drone et le vecteur autonome, ils sont les instruments au service du pilote de chasse.
Illustration ci-dessus: les « remote carriers » selon Airbus Defence & Space (vue d’artiste)
Star du Salon du Bourget 2019, le New Generation Fighter ou « NGF » de Dassault Aviation (maître d’oeuvre, en collaboration avec Airbus), était accompagné sur le tarmac de deux curieux appareils, au design de missile de croisière. Un chez Airbus, l’autre chez le missilier MBDA. Ces appareils sont officiellement appelés « remote carriers », littéralement des effecteurs détachés du chasseur. Il ne s’agit pas d’armes, mais bien d’aéronefs intégrés au groupe de combat durant une mission.
Apparus ces deux (ou trois) dernières années dans les modélisations des industriels et forces aériennes occidentales, les « loyal wingmen » comme on les appelle aux USA, font partie de la solution imaginée pour percer la fameuse bulle A2/AD (anti area/aerial denial) qui, incarnée à travers le très (trop ?) fameux système de défense AA et anti-missile russe S-400, doit mettre à bas la toute puissante domination aérienne de l’Occident.
Le « NGF » (Dassault/Airbus) et ses « remote carriers » (Airbus & MBDA) – Pax Aquitania |
Il y a drone armé… et drone de combat.
Alors peut-on encore parler de drone, alors qu’on annonce des remote carriers semi-autonomes, voire carrément autonomes grâce à un haut-niveau d’intelligence artificielle (les décideurs français l’ont précisé au Bourget dans diverses interviews: dans les forces françaises, c’est l’homme qui aura toujours le dernier mot s’agissant de l’ordre de frappe) ?
Encore faudrait-il pouvoir déterminer ce qu’est un drone de combat, tant les confusions sont nombreuses, notamment dans les médias.
Un drone armé tel qu’il en existe aujourd’hui, au sens capable d’emporter et de délivrer de l’armement, n’aurait en réalité aucune chance de survie dans un environnement contesté.
Dépourvus de furtivité et d’auto-protection, relativement lents et « patauds », les drones armés comme le MQ-9 Reaper ressemblent plus à des planeurs vulnérables qu’à des appareils de combat. La destruction par la défense aérienne iranienne d’un RQ-4 américain le prouve. Au Yémen, ce sont les drones MALE d’origine chinoise en service dans les forces saoudiennes ou émiratis qui tombent les uns après les autres, abattus par les missiles des rebelles Houthis.
Conclusion, les drones MALE ont pour mission première la permanence du renseignement dans un ciel acquis. En second vient la frappe aérienne, d’opportunité, comme le vise l’Armée de l’air française à partir de l’an prochain.
Certaines armées, n’ayant pas les moyens financiers ou humains d’entretenir une flotte de chasseurs, seront tentées d’en user différemment, et d’envoyer ces appareils en première ligne, s’exposant à des pertes… mais des pertes acceptables (le drone est certes consommable, mais il reste tout de même onéreux !).
Hollywood a donc tort, nous ne sommes pas prêts de voir un drone Predator voltiger en rase-motte tout en délivrant missile sur missile !
Drone ou missile intelligent ?
Nos remote carriers présentés au Bourget ressemblaient plus en réalité à des missiles de croisière, de tailles diverses. Imaginés comme agiles, rapides, très rapides, récupérables mais aussi « consommables », c’est naturellement une architecture en flèche qui l’emporte.
Pour preuve, outre Airbus, qui avait montré à l’automne un test grandeur nature en Mer du Nord avec vol en essaim de 5 vecteurs catapultés depuis la côte (lien ci-dessous), c’est le missilier MBDA qui exhibait ses remote carriers RC 100 et RC 200. Le RC 100 est un véhicule de 100 kg, le RC 200 un véhicule de 200 kg, de la gamme supérieure en termes de performances. De plus, ces effecteurs MBDA s’intègrent parfaitement au sein de l’offre globale du missilier franco-britannique (quoiqu’il en soit du programme britannique Tempest, il bénéficiera à coup sûr des mêmes effecteurs que le programme FCAS franco-allemand-espagnol).
« Remote carrier » selon MBDA |
Ces appareils se présentent donc déjà sous diverses tailles, et le panel de missions imaginées est impressionnant: reconnaissance, missile, capteurs ROEM, lutte anti radar… D’autant plus que la technologie paraît maîtrisée par nos industriels français et européens.
Le pilote garde l’œil, et la main, sur l’environnement de combat
Depuis maintenant plusieurs mois, Airbus diffuse (même publiquement) une présentation détaillée et imagée du système de combat aérien futur. En l’état, le SCAF européen semble même le projet le plus abouti au monde, ou du moins le plus concret, tant la démonstration de son concept semble limpide.
Au sein du groupe de combat futur, tout y passe: AWAC, ravitailleur, transporteur, chasseur de 4ème génération Rafale et Eurofighter, satellites.. et donc nos remote carriers.
Le chasseur, furtif et lourd (ce qui était une évidence et ce que la maquette du Bourget a confirmé) au cœur du dispositif, joue le rôle de quarterback (il faudra trouver une analogie footballistique d’ailleurs pour nous, européens !), orientant en quelque sorte le jeu, grâce à des effecteurs en avant, et sur ses ailes.
En arrière, grâce au système de systèmes parfaitement intégré dans chaque appareil du dispositif, et concentrant en temps réel toutes les informations, des appareils à vocation « logistique » sont capables de larguer des effecteurs supplémentaires afin de renforcer l’essaim qui sature les défenses adverses. Sur la démonstration, il s’agit d’un Airbus A400M qui largue nos remote carriers.
Ci-dessous: illustration du système de combat aérien futur – Airbus DS
Au sein du SCAF, différents appareils évoluent en réseau |
L’A400M libère des remote carriers selon le besoin identifié en avant |
Le chasseur « NGF » évolue en véritable escadron avec ses ailiers autonomes (ou semi-autonomes) |
A la décision, l’humain. Les forces et industries françaises mettent actuellement les bouchées doubles tant sur le plan doctrinal que technique, sur le « man machine teaming », soit la coopération homme/machine. En effet, les systèmes, à grand renfort d’algorithmes, doivent pouvoir traiter une grande partie de la quantité toujours plus importante de données, et livrer au pilote une image clarifiée de l’environnement de combat.
Ce véritable défi cognitif est la clé. Tel que présenté au Bourget, l’Armée de l’air imagine même le SCAF capable de discerner le niveau d’intérêt d’une cible (ou même de corriger une erreur, diminuant le risque de dommage collatéral). Dans un tel cas, le remote carrier, ou même le missile lui même pourrait dans un délai respectable (à clarifier) informer le pilote qu’une cible secondaire devient prioritaire. Et les exemples imaginables sont aussi révolutionnaires que nombreux… tant que le niveau de connaissance du pilote demeure acceptable quant à l’évaluation des risques (Situational Awareness & Risk Assessment Functions).
Mais quel avenir pour l’aile volante ?
Le démonstrateur Neuron et le Rafale, en vol à Istres – Dassault Aviation |
Le destin paraît donc aujourd’hui tout tracé pour nos remote carriers au profil véloce et discret. Mais que deviennent alors les fameux concept d’ailes volantes furtives qui illustraient le concept SCAF à l’époque où celui-ci était franco-britannique (2011-2016 environ) ? Un démonstrateur de drone de combat avait même été annoncé par François Hollande et David Cameron, avec un budget conséquent.
Dassault Aviation montrait alors sur les vues d’artiste le Rafale évoluant en escadron avec un drone furtif ressemblant à son Neuron.
Entre temps, le projet a périclité, pas aidé de surcroît par le Brexit et une partie britannique qui tente aujourd’hui de jouer sa propre partition.
Mais le démonstrateur Neuron continue lui ses expérimentations à Istres, sa structure furtive faisant avancer les compétences françaises en la matière, ce qui sera bien sûr déterminant pour le SCAF.
Ailleurs, les projets existent: la Chine a dévoilé son CH-7 sur un salon aéronautique, tandis que la Russie travaille sur le « Okhotnik ».
En réalité, on ne peut vraiment juger de la pertinence de ces concepts de drones de combat furtif, et les doutes nous viennent directement du leader en la matière, les USA. L’US Navy a ainsi abandonné son programme de drone furtif X47-B pour dévier vers le programme CBARS (Carrier-Based Aerial-Refueling System), ou désormais MQ-25 « Stingray », un drone ravitailleur pouvant embarquer sur porte-avions, et ainsi donner de l’allonge au groupe de chasse.
L’évolution doctrinale en occident ces dernières années nous amène donc à conclure une chose: le pilote humain, à bord de l’appareil, gagne la bataille du cerveau et conservera (au moins pour cette génération) la main-mise sur le combat aérien. Il sera suppléé par divers effecteurs déportés, des drones semi-autonomes (l’autonomie complète ne sera probablement pas atteinte à moyen terme), profilés pour opérer dans un environnement contesté.
Les plus gros drones eux, également furtifs mais subsoniques, auront un rôle plus stratégique, jouant à l’arrière le rôle de ravitailleur, ou de camions à bombes lorsque ce dernier rôle ne pourra être tenu par des appareils habités (comme le Rafale ou le F-15).
La frappe stratégique nucléaire effectuée par un drone furtif semble aujourd’hui totalement exclue.
Cependant, les visuels Airbus de l’environnement SCAF montrent toujours des ailes volantes furtives au sein d’un groupe de combat, avec pour mission la frappe et la désignation de cible en profondeur.
Mais comparativement aux remote carriers, ils semblent eux destinés à œuvrer en solitaire, plus directement, là où la force des premiers sera l’action en essaim, fulgurante, et la saturation des défenses.
Présentation du SCAF par Airbus Espagne fin 2018 |
Airbus |