Il serait aventureux d’affirmer que le secteur spatial, à l’époque où nous vivons, a pu être considéré une seule seconde comme secondaire dans les politiques stratégiques des grandes (ou moins grandes) puissances de ce monde. Cependant, il est intéressant de se pencher sur ces 5 dernières années. Retour sur un incroyable alignement des astres qui a remis l’espace au centre des priorités stratégiques. 

 

2014: devant les premières tentatives (et les échecs) de SpaceX pour récupérer, régénérer et ré-employer ses boosters dans un délai record de quelques mois, l’Europe se cherche, et hésite sur l’avenir à donner à son programme Ariane, dont les coûts de lancement sont désormais trop chers pour le marché qui se dessine. Berlin plaide alors pour une évolution d’Ariane 5, tandis qu’une bonne majorité de nos industriels déclare publiquement ne pas croire dans les technologies de réutilisation, tout en dénonçant par ailleurs le système de financement du New Space américain, dont les grandes figures agissent il est vrai sous confortable perfusion de fonds publics émanant de la NASA… et du Pentagone.

Au tournant de l’année 2015, les Européens auront finalement choisi de lancer le programme Ariane 6, avec objectif 2020, tandis que SpaceX et Elon Musk réaliseront progressivement leur pari de faire revenir les premiers étages pour ensuite les reconditionner, et ce sous les applaudissements de la planète.

 

2019: Emmanuel Macron annonce le 13 juillet que la France fait de sa stratégie spatiale de défense une priorité, ce qui entraîne la création un commandement spatial militaire à Toulouse, sous l’égide de l’Armée de l’air qui deviendra même à terme, « Armée de l’air et de l’espace ». Thomas Pesquet, astronaute de son état, est lui devenu une véritable star et l’ambassadeur des ambitions scientifiques françaises.

SpaceX récupère désormais (première en août 2019) la coiffe de son lanceur, et fait maintenant face à une concurrence démultipliée. Les lancements privés voient également le jour en Chine, où au milieu du nombre faramineux de lancements institutionnels, les première firmes estampillées « New Space » commencent à montrer de véritables compétences, y compris dans la récupération. La récupération, l’Europe y croît désormais, et étudie plusieurs pistes pensées comme des briques technologiques qui pourraient servir le futur d’Ariane ou Vega. Côté New Space en revanche, nous n’y sommes pas, mais la graine est néanmoins plantée.

Le monde de 2019 est sur une série d’avancées scientifiques extraordinaires: on photographie des trous noirs, découvre des exo-planètes par centaines, se déplace dans l’espace avec une voile, des missions visent bientôt chaque corps de notre système solaire… et cela avec l’engouement du grand public.

Sur le plan stratégique, quand à Paris/Bruxelles ou Moscou, on s’inquiète pour ses capacités souveraines, la géolocalisation notamment, à Washington et Pékin, on pense suprématie. Et 50 ans après, tous regardent désormais à nouveau vers la Lune, avant poste vers les ressources innombrables qui intéressent même Indiens ou Israéliens.

 

Bien évidemment, ces faits, ces dates, ne suffisent à contempler l’exhaustivité des programmes en cours, la plupart ayant d’ailleurs été décidés, et même démarrés dans la décennie 2000, voire avant. Par exemple, quand l’atterrisseur Philae fait la fierté de l’Europe en se posant sur la comète Tchouri en septembre 2014, cela fait 10 ans que la sonde qui l’emporte, Rosetta, a quitté notre orbite.

Car à notre petite échelle de terrien, le système solaire, c’est déjà le temps long, très long. Il n’en demeure pas moins que lors des cinq dernières années, tout semble avoir changé. Dans une atmosphère moribonde dictée par les coupes budgétaires et annulations qui touchent la NASA sous les administrations Bush, puis Obama, nos chers programmes spatiaux vont dans cette période percuter de plein fouet la révolution du New Space, mais aussi celle des réseaux sociaux. L’effet combiné va se révéler particulièrement efficace.

Le New Space d’abord, va voir l’entrée fulgurante sur le marché des nouveaux acteurs issus de secteurs traditionnellement non liés à l’espace: en ligne de mire, l’exploitation des marchés satellitaires, éventuellement le tourisme mais bien plus encore, l’exploitation des ressources du système solaire. Ainsi fin 2015, dans une certaine discrétion, l’administration américaine légiférait en faveur de l’exploitation privée des ressources des astéroïdes. Une révolution alors que depuis plus d’un demi-siècle, le droit international sacralisait l’espace comme un bien de l’humanité toute entière (et un lieu démilitarisé, chose également remise en cause dans les faits). Ce renouveau de l’écosystème amène avec lui investissements privés et recherche de productivité, entraînant à la fois une baisse des coûts et une accélération de l’innovation.

Et le New Space, avec Elon Musk en son sommet, a besoin pour avancer de générer du buzz, en jouant des formes modernes, et parfois loufoques (une Tesla dans l’espace), de communication. Une pratique dont vont rapidement s’emparer les agences spatiales nationales, avec plus ou moins de réussite, la NASA multipliant les effets d’annonces, stratégie critiquée par certains. L’ESA, et surtout notre CNES, ne s’en sortent pas trop mal en la matière, ayant totalement revu leur communication et étant aujourd’hui bien plus présents sur les réseaux sociaux, avec des présentations pédagogiques souvent de qualité. Aujourd’hui, chaque décollage d’Ariane est diffusé en live sur vos réseaux. Mais ce sont toujours des t-shirts NASA que l’on voit dans les rues de Paris…

 

En France donc, acteur historique d’envergure mondiale, le grand moment de ces 5 dernières années aura bien sûr été le séjour de 6 mois de Thomas Pesquet sur l’ISS entre 2016 et 2017 (mission Proxima/ photo d’illustration ©ESA). Grâce à une communication maîtrisée comme rarement dans ce pays, l’ESA, le CNES, mais surtout la maison France auront su se trouver un formidable ambassadeur. A tel point qu’on murmure le nom de Thomas Pesquet pour des missions vers la Lune, autour de laquelle une future station internationale « LOPG » devrait orbiter à l’horizon 2025.

Côté hard power, les choses se précipitent. Conscient des enjeux renouvelés du domaine spatial, notamment chez les puissances majeures de la planète, le Président Macron entend en faire une priorité. Si déjà, la Loi de Programmation Militaire prévoyait un budget conséquent de 3,6 milliards d’euros pour la modernisation des capacités militaires existantes, les récentes annonces concernent le renforcement et la protection de ces capacités, grâce à diverses innovations à moindre coût, principalement incarnées dans les nano-satellites… et le recours à des services privés. Des services qui sont encore l’apanage de nos grands groupes, puisqu’en raison de nos logiques programmatiques lourdes et à échelle européenne (et soumises au sacro-saint principe de retour géographique), ces acteurs destinées à structurer le New Space européen n’ont pas encore émergé. Chaque pays les y pousse désormais, ce qui risque d’entraîner une concurrence parfois meurtrière. Les start-up espagnoles ont par exemple déjà pris de l’avance. Mais concurrence signifie aussi émulation…

 

De façon générale, c’est le monde entier qui regarde de nouveau envieusement vers les étoiles. Quasiment chaque opération sur cette planète, militaire ou civile, est dépendante d’un réseau satellitaire. Il en est tout autant des sciences déterminantes pour la compréhension et la gestion future de notre monde (qui a dit climatologie ?). Aussi la récente et ahurissante tribune d’un collectif de chercheurs en écologie politique, parue dans Libération, et appelant Thomas Pesquet à se prononcer contre l’exploration spatiale, dont les cerveaux et budgets seraient soit-disant plus utiles à la préservation de la planète, est logiquement tombée à plat.

Car la dynamique est nette, franche. Avec la hausse des budgets, la multiplication des programmes… ce sont des emplois, des carrières, des vocations qui se développent. Redevenu « tendance », le spatial découvre les vents de la globalisation. Et ce second âge d’or semble parti pour durer.

 

Thomas Schumacher.

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