Un rallye de type africain en pleine Provence? Un rallye sur un champ de manoeuvres militaires ? Le propos pourrait être incongru s’il n’avait été réalisé entre 1976 et 1986 dans un contexte, il est vrai, assez singulier de méfiance entre forces armées et population civile. Il faut rappeler que dans les années 1970 la création ou l’extension de camps était très mal accepté par les expropriés, bénéficiant le cas échéant d’un soutien médiatique, politique et physique comme ce fut le cas avec la lutte du Larzac. De fait, les autorités militaires prirent conscience que les rapports avec la population devaient évoluer, ce qui imposait de promouvoir une nouvelle image des armées précisément.
L’occasion fut saisie avec l’enthousiasme de l’ASA Team Dragon (une structure associative de sport automobile) et la volonté du commandant du camp de Canjuers, le colonel Sirvent, d’offrir plus qu’un terrain d’entente : un terrain de compétition. 110 kilomètres de route asphaltée, 400 de piste en terre, un sol calcaire aride, des passages à gué et une activité d’artillerie soutenue toute l’année : tel était le camp Canjuers, alors plus grande enceinte militaire en Europe. L’accord fut scellé de la façon suivante : l’armée mettait à disposition l’ensemble des installations (restauration, hébergement, service médical) pour les concurrents, leur équipe technique ainsi que pour la presse présente. De même que des moyens logistiques conséquents (véhicules tout-terrain, camions de dépannage et hélicoptères). L’association prenait pour sa part à sa charge les frais de carburant et l’organisation générale sur le parcours. L’improbable fut ainsi réalisé onze éditions durant : un rallye dans un camp militaire français!
Ce rapprochement n’était pas si pittoresque que cela puisque les analogies entre le compétiteur de sports mécaniques et le soldat sont assez nombreuses : le mental tout d’abord, la possibilité d’atteindre l’objectif dépend conséquemment de sa capacité à endurer les épreuves ; la préparation ensuite, car si les imprévus peuvent survenir dans le déroulement de l’épreuve, l’entraînement n’est jamais superfétatoire ; l’adversité, puisque l’on combat contre autrui et que les concurrents peuvent être pugnaces et inventifs ; l’obligation d’une connaissance de soi, des autres et du matériel avec tous les aléas que l’on peut deviner ; une discipline et un réglement à observer car une compétition sportive n’est pas l’anarchie, il y a des instances hiérarchiques, des règles impératives, des appels, des vérifications et des sanctions ; et enfin une camaraderie de fin d’épreuve, facilitée par les conditions éprouvantes subies par l’ensemble des candidats.
Quant à l’appellation, elle est un pur produit marketing pour faire miroir au fameux rallye finlandais des 1000 lacs. Du reste, 1000 pistes n’était pas inapproprié au regard de la multitude de parcours possibles sur un terrain occupant une surface de 35 000 hectares (350 km2).
Anedocte sympathique : lors du premier lever aux aurores pour la compétition naissante, le colonel Despont, alors adjoint du commandant du camp, fit résonner la fanfare du régiment afin d’inviter les participants à profiter des premiers rayons du soleil et se diriger vers le réfectoire pour prendre leur petit-déjeuner.
Plusieurs grands noms participèrent aux différents éditions, et si tous ne laissèrent pas leur empreinte sur les tablettes de l’épreuve, en revanche l’épreuve les marqua substantiellement. En premier lieu, Jean-Louis Clarr qui fut le premier à emporter l’édition d’inauguration, avec son Opel Kadett GT/E à peine préparée ; Jean-Luc Thérier, quatre fois détenteur du titre, une vraie bête de compétition ; Carole Vergnaud qui s’offrit la toute dernière édition sur une Citroën Visa 1000 Pistes la bien nommée ; Guy Fréquelin, sortant vainqueur de l’épreuve sur deux véhicules différents, une Talbot Sunbeam Lotus puis une Opel Manta 400.
Outre ces grands noms, les militaires se prirent aussi au jeu de la compétition avec le fidèle adjudant-chef Gérard Boin répondant présent lors des éditions de 1978 à 1985.
Précision d’importance : les conducteurs de chars n’étaient pas invités à se produire durant l’épreuve avec leur matériel habituel.
Une longévité d’autant plus remarquable que le rallye n’était prévu que pour trois ou quatre éditions selon les initiateurs du projet. Avec à la clef un succès médiatique dépassant largement le cadre régional pour s’établir au niveau européen avec des compétiteurs britanniques et finlandais ainsi que des vétérans du rallye de Côte d’Ivoire (le Bandama).
La fin fut inéluctable cependant car le cigarettier Rothmans, principal soutien financier de l’épreuve, allait subir la loi anti-tabac en discussion, lui interdisant toute dépense en marketing lors d’épreuves grand public. Cette législation couplée à l’arrivée au camp d’un nouveau colonel respectueux de la tradition mais sans l’enthousiasme des pionniers (le colonel Sirvent, ferveur soutien du projet et facilitateur de la mise à disposition du matériel) ainsi qu’au retrait de la compétition de tout championnat d’envergure achevèrent de convaincre les organisateurs qu’un temps était révolu.
Des souvenirs appelés à jaunir?
Pas forcément dans le sens où le tout nouveau Rallye Terre du Haut Var 2019 s’est déroulé… au sein du camp de Canjuers. Avec la notable présence du nonuple champion du monde Sébastien Loeb à bord d’une Hyundai R5 et la bienveillance des autorités militaires. Jolie résurrection!
Éditions du Baquet 176 pages ]]>