L’auteur du texte ne possède aucune expertise militaire. Son propos limité est de rappeler des concepts opérationnels ayant eu cours dans les deux conflits auxquels la France fut confrontée en Indochine (1945-1954) et en Algérie (1954-1962). Dans les deux cas de ces guerres « asymétriques », une fraction d’officiers de terrain de l’armée française avait développé des concepts de contre guérilla inspirés des principes de la guerre révolutionnaire mis en pratique par le Vietminh. L’application de ces concepts avait été tolérée tacitement par l’Etat Major, et dans l’abstention décisionnaire du pouvoir politique, au cours des « opérations du maintien de l’ordre » en Algérie. Parmi ces officiers (décédés) on pouvait citer notamment les noms des colonels Roger Trinquier (auteur de « La guerre moderne ») et Antoine Argoud, polytechnicien (nb : major de l’Ecole de Guerre, qualifié par ses pairs de l’époque de possible « futur chef de l’armée française »). L’idée centrale de ces concepts est d’innerver les opérations militaires de contre guérilla proprement dites, par des actions de guerre psychologique leur fournissant un surcroît d’efficacité dans une logique de ralliement ou de « retournement » des populations sous contrôle ennemi. L’idée corollaire, dans ce cadre, est d’utiliser pour la contre guérilla une partie des méthodes de la guérilla, ce qui pouvait expliquer le désaveu de l’autorité politique dans l’hypothèse où elle en aurait été informée.   Dans l’actuelle guerre du Sahel commencée en 2013, il est notoire que les opérations militaires menées par l’armée française déploient une technicité sans équivalent mondial dans la traque et l’anéantissement des bandes terroristes qui sillonnent l’immensité du théâtre concerné. Accompagnées d’un soutien matériel aux populations victimes du terrorisme, ces opérations intègrent de ce fait un élément psychologique, présumé, par cette combinaison, contribuer à la pacification recherchée. La question serait de savoir si un tel binôme produit la masse critique suffisante pour assurer à terme la victoire stratégique, c’est-à-dire un écrasement durable de l’ennemi.   La spécificité d’une guerre qualifiable de révolutionnaire consiste dans le conflit entre deux ordres politiques : celui existent à défendre (donc en défensive), et celui qui a pour objectif de  le détruire pour le remplacer par un autre (donc en offensive).Ce cadre définit l’actuelle guerre du Sahel. Dans les deux cas historiques présentés, l’enjeu du contrôle psychologique des populations dépassait par évidence l’enjeu du succès d’opérations militaires. Lorsque l’ordre politique est celui de la défense, ce contrôle psychologique n’est donc pas réduit à un corollaire, mais devient un impératif stratégique intégré dans l’objectif de guerre. Partant, la question est de savoir quelles peuvent être les méthodes susceptibles de permettre ce contrôle, ou du moins y contribuer par delà une conception sécuritaire passive du maintien de l’ordre. Cette question est d’une particulière acuité dès lors que l’ennemi à l’offensive pratique le contrôle par la terreur et le massacre gratuit, tandis que l’ordre en défensive ne saurait par essence faire de même. Cette asymétrie initiale est d’autant plus importante qu’elle repose non seulement sur ce qu’on appelle l’avantage à l’attaquant, mais aussi sur son rejet par lui de toute norme et  règle de guerre.   Quatre paramètres définissent le concept spécial de contre guérilla évoqué dans le cadre global de  conflictualité d’une guerre révolutionnaire.1) le renseignement en immersion 2) la démonstration publique de la force 3) la justice rendue publiquement 4) la protection de la population ralliée.   LE RENSEIGNEMENT EN IMMERSION   Si satellites, drones et aviation d’observation sont aujourd’hui indispensables à la préparation des opérations d’anéantissement dans un contexte de guerre fluide et ultra mobile, ces moyens ne rendent compte en rien de « l’état du terrain ». Or, il est évident que sans un assèchement des viviers du terrorisme immergés dans les populations, ces opérations sont condamnées à un recommencement sans fin prévisible, puisque l’ennemi contrôle ce terrain soit par l’adhésion (ethnique et / ou religieuse) à ses fins, soit par la terreur.   Le renseignement de terrain implique la présence invisible d’observateurs et de témoins à l’écoute dans les lieux habités, capables de fournir des informations sur les éléments suspects, ou infiltrés, et plus généralement sur l’état d’esprit de la population et de ses représentants. En face, des spécialistes de la contre guérilla, composés d’officiers et sous-officiers « de contact », parlant si possible l’un ou l’autre dialecte ethnique, doivent être en mesure d’interpréter, par la palabre et par d’autres moyens, les informations recueillies. Un des objectifs, à ce niveau, est de permettre des éliminations physiques ciblées par commando sans uniforme (ou par drone tueur), afin de créer le sentiment que les terroristes ne soient plus, selon la formule de Mao Tsé Toung, « comme un poisson dans l’eau » au sein de la population. Le risque de l’aléatoire dans cette recherche ne devrait pas dispenser de la pratiquer, malgré la difficulté de cerner le flou propre à la psychologie africaine. Les observateurs de terrain doivent en tout état de cause être récompensés par des moyens appropriés tenant compte des usages africains de l’échange.   LA DEMONSTRATION PUBLIQUE DE LA FORCE   Le problème initial le plus grave auquel est confronté virtuellement aujourd’hui tout corps d’arme d’origine européenne en OPEX africaine est celui de réduire l’asymétrie entre ses codes juridiques d’engagement et la pratique des groupes terroristes. La réduction de cette asymétrie impliquerait, par conséquent, une adaptation du socle de droit invoqué pour légitimer, en particulier, les actes d’élimination de terroristes autres que ceux liés aux opérations de combat par voie terrestre ou aérienne. Dans un tel cadre, il serait parfaitement angélique de faire prévaloir, en terre africaine (donc au Sahel) le principe européen d’une égalité universelle des droits incluant aussi bien les criminels que leurs victimes.   La connaissance de l’Afrique, et ce depuis Alger jusqu’au Cap, autorise en effet à constater que deux pôles de valeurs collectives régissent essentiellement, sur ce continent, le maintien et le respect de l’ordre social : la force et la justice, la seconde légitimant l’usage de la première. En procéda directement, par décalque et par adaptation, la conception de la contre guérilla élaborée par le groupe d’officiers français sus évoqués en Algérie à partir de leur expérience vietnamienne.   La démonstration publique de la force, selon leur schéma, doit s’opérer sur deux plans : d’abord une publicité sélective des opérations d’anéantissement de l’ennemi par les moyens de l’image, de l’exposé didactique, de l’exhibition des prisonniers, et du défilé militaire célébrant les succès. Dans cadre, il est pertinent de montrer à la fois les succès de l’armée française, et ceux obtenus conjointement avec des forces locales associées. En second lieu, par le montage de procédures judiciaires expéditives instruites sur la place publique, excluant tout délai et huis clos, centrées à la fois sur les coupables d’assassinats terroristes, sur les chefs qui les ont commandés, conclues par la peine de mort, et suivies immédiatement du peloton d’exécution. En fonction des impératifs tactiques, un choix est à opérer entre d’une part l’élimination opérationnelle des chefs identifiés, et de l’autre leur capture, leur exécution après jugement dans le but d’une démonstration d’exemplarité. A l’inverse, une grâce doit pouvoir être accordée aux subalternes et lampistes en vue de leur « retournement » et de leur réinsertion.   LA JUSTICE RENDUE PUBLIQUEMENT   La peine de mort est, en tant que telle, la justification objective du caractère expéditif et public de la procédure et de son exécution, afin, selon la formule d’usage, de « frapper les esprits ».Il est impératif, dans ce cadre, de rappeler d’abord que la mentalité africaine accepte parfaitement, et d’une manière générale, la peine de mort comme acte de justice. Deux mises en garde sont toutefois instantanément nécessaires :1) s’il était considéré que l’armée française engagée en terrain africain est, ou doit être, un dépositaire du droit européen proscrivant toute peine de mort, le schéma sus exposé s’écroule et rend sa conception caduque. 2) s’il est considéré au contraire que les conditions spécifiques de son engagement en Afrique l’autorisent à faire abstraction du droit européen, il serait ipso facto impératif que ses procédures d’exécution soient assises sur le droit des pays où elles s’exercent.   Dans l’hypothèse où la peine de mort ne serait pas (encore) autorisée dans ce droit, il pourrait paraître évident de l’instaurer en raison de l’asymétrie originaire des méthodes bénéficiant à l’attaquant, et plus généralement de la gravité de la situation sécuritaire. Une fois établie ou rétablie, la peine de mort organisée par l’autorité locale, avec l’appui logistique français, deviendrait en outre l’instrument idoine pour enrayer et contrôler, au moins partiellement, les pulsions de représailles collectives auxquelles se livrent ordinairement les populations en proie à des pillages et massacres.   En tout état de cause, et c’est ce qu’avaient compris les officiers français experts de la contre guérilla, le caractère public du jugement et sa rapidité d’exécution sont entièrement compatibles avec l’esprit et l’attente de la population, une réalité anthropologique brute que l’idéologie européenne des « droits de l’homme » et ses stéréotypes refuserait aujourd’hui de considérer.   LA PROTECTION DE LA POPULATION RALLIEE   Ce principe d’honneur est d’une importance capitale dès lors qu’il s’agirait de montrer que l’action de l’armée française, bien qu’autorisée par des traités de défense ou de coopération militaire, n’est pas limitée à des opérations de force. Au Sahel, le principal problème est cependant l’immensité du territoire à protéger, qui exclut la possibilité d’un vaste quadrillage de protection. Cette protection ne peut donc théoriquement être assurée que dans des zones limitées, dont le choix appartient aux schémas stratégiques globaux de l’Etat Major, en fonction d’une hiérarchie de priorités, elle-même fonction des niveaux territoriaux différenciés de sécurité.   L’objectif psychologique est de fournir la récompense de la protection aux populations qui ont contribué à la pacification par le renseignement, la dénonciation des terroristes, voire l’action de forces supplétives (nb : ce fut le cas au Vietnam et en Algérie).Dans ce cadre, la formation de groupes d’autodéfense locaux est un supplément contribuant au « retournement » de la population, donc à la pacification.   CONCLUSION NON NORMATIVE   L’exposé des principes et méthodes de contre guérilla sus résumés ne comporte aucun caractère d’approbation ni de rejet. Il vise seulement à rapporter une technicité opératoire conçue et partiellement appliquée dans le passé, une hypothèse de sa pratique actualisée, et la dialectique objective qui la sous-tend.     Michel Ruch est diplômé de l’IEP de Strasbourg et de l’Institut des hautes études européennes. Il a publié L’Empire attaque : Essai sur Le système de domination américain, aux éditions Amalthée. Les vues et les opinions exprimées dans cet article sont celles de leur auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues ou les opinions d’Echo RadaR.]]>

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